Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t5.djvu/533

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
517
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

de bois, sans bras en écharpe : tous ces oiseaux du lever de l’aurore de la police s’envolaient et disparaissaient avec le jour grandissant. Mon logis étant prêt, le geôlier vint nous avertir, et M. Léotaud, chapeau bas, me conduisit jusqu’à la porte de l’honnête demeure et me dit, en me laissant aux mains du geôlier et de ses aides : « Monsieur le vicomte, j’ai bien l’honneur de vous saluer : au plaisir de vous revoir. » La porte d’entrée se referma sur moi. Précédé du geôlier qui tenait les clefs et de ses deux garçons qui me suivaient pour m’empêcher de rebrousser chemin, j’arrivai par un étroit escalier au deuxième étage. Un petit corridor noir me conduisit à une porte ; le guichetier l’ouvrit : j’entrai après lui dans ma case. Il me demanda si je n’avais besoin de rien : je lui répondis que je déjeunerais dans une heure. Il m’avertit qu’il y avait un café et un restaurateur qui fournissaient aux prisonniers tout ce qu’ils désiraient pour leur argent. Je priai mon gardien de me faire apporter du thé et, s’il le pouvait, de l’eau chaude et froide et des serviettes. Je lui donnai vingt francs d’avance : il se retira respectueusement, en me promettant de revenir.

Resté seul, je fis l’inspection de mon bouge : il était un peu plus long que large, et sa hauteur pouvait être de sept à huit pieds. Les cloisons, tachées et nues, étaient barbouillées de la prose et des vers de mes devanciers, et surtout du griffonnage d’une femme qui disait force injures au juste-milieu. Un grabat à draps sales occupait la moitié de ma loge ; une planche, supportée par deux tasseaux, placée contre le mur, à deux pieds au-dessus du grabat, servait d’armoire au linge,