Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t5.djvu/534

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
518
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

aux bottes et aux souliers des détenus : une chaise et un meuble infâme composaient le reste de l’ameublement.

Mon fidèle gardien m’apporta les serviettes et les cruches d’eau que je lui avais demandées ; je le suppliai d’ôter du lit les draps sales, la couverture de laine jaunie, d’enlever le seau qui me suffoquait et de balayer mon bouge après l’avoir arrosé. Toutes les œuvres du juste-milieu étant emportées, je me fis la barbe ; je m’inondai des flots de ma cruche, je changeai de linge : madame de Chateaubriand m’avait envoyé un petit paquet ; je rangeai sur la planche au-dessus du lit toutes mes affaires comme dans la cabine d’un vaisseau. Quand cela fut fait, mon déjeuner arriva et je pris mon thé sur ma table bien lavée et que je recouvris d’une serviette blanche. On vint bientôt chercher les ustensiles de mon festin matinal, et on me laissa seul dûment enfermé.

Ma loge n’était éclairée que par une fenêtre grillée qui s’ouvrait fort haut ; je plaçai ma table sous cette fenêtre et je montai sur cette table pour respirer et jouir de la lumière. À travers les barreaux de ma cage à voleur, je n’apercevais qu’une cour ou plutôt un passage sombre et étroit, des bâtiments noirs autour desquels tremblotaient des chauve-souris. J’entendais le cliquetis des clefs et des chaînes, le bruit des sergents de ville et des espions, le pas des soldats, le mouvement des armes, les cris, les rires, les chansons dévergondées des prisonniers mes voisins, les hurlements de Benoît, condamné à mort comme meurtrier de sa mère et de son obscène ami[1]. Je distinguais ces

  1. Frédéric Benoît, fils du juge de paix de Vouziers, âgé de