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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

grand communiant, grand légitimiste, grand partisan des ordonnances, et devenu forcené juste-milieu. Je priai cet animal de s’asseoir avec toute la politesse de l’ancien régime ; je lui approchai un fauteuil ; je mis devant son greffier une petite table, une plume et de l’encre ; je m’assis en face de M. Desmortiers, et il me lut d’une voix bénigne les petites accusations qui, dûment prouvées, m’auraient tendrement fait couper le cou : après quoi, il passa aux interrogations.

Je déclarai de nouveau que, ne reconnaissant point l’ordre politique existant, je n’avais rien à répondre, que je ne signerais rien, que tous ces procédés judiciaires étaient superflus, qu’on pouvait s’en épargner la peine et passer outre ; que je serais du reste toujours charmé d’avoir l’honneur de recevoir M. Desmortiers.

Je vis que cette manière d’agir mettait en fureur le saint homme, qu’ayant partagé mes opinions, ma conduite lui semblait une satire de la sienne ; à ce ressentiment se mêlait l’orgueil du magistrat qui se croyait blessé dans ses fonctions. Il voulut raisonner avec moi ; je ne pus jamais lui faire comprendre la différence qui existe entre l’ordre social et l’ordre politique. Je me soumettais, lui dis-je, au premier, parce qu’il est de droit naturel ; j’obéissais aux lois civiles, militaires et financières, aux lois de police et d’ordre public ; mais je ne devais obéissance au droit politique qu’autant que ce droit émanait de l’autorité royale consacrée par les siècles, ou dérivait de la souverai-

    dans les Mémoires d’Outre-tombe, et elle n’est pas bien grave. M. Geoffroy de Grandmaison, dans son beau livre sur la Congrégation, pages 389 et suiv., a publié la liste complète de ses membres : M. Desmortiers n’y figure pas.