Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t5.djvu/567

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
551
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Luther et Calvin, au temps de Luther et de Calvin ; ils étaient faits comme Léon X avec le génie de Raphaël, ou comme saint Louis avec le génie gothique ; le petit nombre ne croyait à rien, le grand nombre croyait à tout. Aussi le protestantisme n’a-t-il pour temples que des salles d’écoles, ou pour églises que les cathédrales qu’il a dévastées : il y a établi sa nudité. Jésus-Christ et ses apôtres ne ressemblaient pas sans doute aux Grecs et aux Romains de leur siècle, mais ils ne venaient pas réformer un ancien culte ; ils venaient établir une religion nouvelle, remplacer les dieux par un dieu.

Lucerne, 14 août 1832.

Le chemin de Bâle à Lucerne par l’Argovie offre une suite de vallées, dont quelques-unes ressemblent à la vallée d’Argelès, moins le ciel espagnol des Pyrénées. À Lucerne, les montagnes, différemment groupées, étagées, profilées, coloriées, se terminent, en se retirant les unes derrière les autres et en s’enfonçant dans la perspective, aux neiges voisines du Saint-Gothard. Si l’on supprimait le Righi et le Pilate, et si l’on ne conservait que les collines surfacées d’herbages et de lapinières qui bordent immédiatement le lac des Quatre-Cantons, on reproduirait un lac d’Italie.

Les arcades du cloître du cimetière dont la cathédrale est environnée sont comme les loges d’où l’on peut jouir de ce spectacle. Les monuments de ce cimetière ont pour étendard une croisette de fer portant un Christ doré. Aux rayons du soleil, ce sont autant de points de lumière qui s’échappent des tombes ; de distance en distance, il y a des bénitiers dans lesquels trempe un rameau, avec lequel on peut bénir des