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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Altorf.

Débarqué à Fluelen, arrivé à Altorf, le manque de chevaux va me retenir une nuit au pied du Bannberg. Ici, Guillaume Tell abattit la pomme sur la tête de son fils : le trait d’arc était de la distance qui sépare ces deux fontaines. Croyons, malgré la même histoire racontée par Saxon le Grammairien, et que j’ai citée le premier dans mon Essai sur les révolutions[1] ; ayons foi en la religion et la liberté, les deux seules grandes choses de l’homme : la gloire et la puissance sont éclatantes, non grandes.

Demain, du haut du Saint-Gothard, je saluerai de nouveau cette Italie que j’ai saluée du sommet du Simplon et du Mont-Cenis. Mais à quoi bon ce dernier regard jeté sur les régions du midi et de l’aurore ! Le pin des glaciers ne peut descendre parmi les orangers qu’il voit au-dessous de lui dans les vallées fleuries.

Dix heures du soir.

L’orage recommence ; les éclairs s’entortillent aux rochers ; les échos grossissent et prolongent le bruit de la foudre ; les mugissements du Schœchen et de la

  1. Dans son Essai, Chateaubriand avait consacré trois chapitres à la Suisse : la Suisse pauvre et vertueuse ;la Suisse philosophique ;la Suisse corrompue. Le premier de ces chapitres renfermait la note suivante : « L’anecdote de la pomme et de Guillaume Tell est très douteuse. L’historien de la Suède, Grammaticus, rapporte exactement le même fait d’un paysan et d’un gouverneur suédois. J’aurais cité les deux passages s’ils n’étaient trop longs. On peut voir le premier dans Simler (Helvetiorum Respublica, lib. I, page 58 ; et l’on trouve l’autre cité tout entier à la fin de Coke’s Letters on Switzerland. » Essai sur les Révolutions, 1re édition, page 255. Cette anecdote de la pomme, que Chateaubriand, avec raison, tenait pour « très douteuse », n’est plus aujourd’hui défendue par personne.