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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

derrière ses compagnes de captivité, dans son uniforme de prisonnière. Elle est fort commune ; je lui ai trouvé l’air de toutes ces brutes de France présentes à tant de meurtres, sans pour cela être plus distinguées qu’une bête féroce, malgré ce que veut leur prêter la théorie du crime et de l’admiration des égorgements. Un simple chasseur, armé d’une carabine, conduit ici les galériens aux travaux de la journée et les ramène à leur prison.

J’ai poussé ce soir ma promenade le long de la Reuss, jusqu’à une chapelle bâtie sur le chemin : on y monte par un petit portique italien. De ce portique, je voyais un prêtre priant seul à genoux dans l’intérieur de l’oratoire, tandis que j’apercevais au haut des montagnes les dernières lueurs du soleil couchant. En revenant à Lucerne, j’ai entendu dans les cabanes des femmes réciter le chapelet ; la voix des enfants répondait à l’adoration maternelle. Je me suis arrêté, j’ai écouté au travers des entrelacs de vignes ces paroles adressées à Dieu du fond d’une chaumière. La belle, jeune et élégante jeune fille qui me sert à l’Aigle d’or dit aussi très régulièrement son Angelus en fermant les rideaux des croisées de ma chambre. Je lui donne en rentrant quelques fleurs que j’ai cueillies ; elle me dit, en rougissant et se

    appris que Xavier Keller avait été victime d’un crime politique, dont les instigateurs avaient été deux personnages officiels de Lucerne. Cinq personnes, parmi lesquelles un frère et une sœur de Clara Wendel, en avaient été les exécuteurs. Il en résulta un procès, dont le retentissement fut européen, et qui se termina par plusieurs condamnations. Clara Wendel fut condamnée à la détention perpétuelle et subit sa peine dans la prison de Lucerne.