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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

pouvait voir : la halle où est le grenier public que l’on baptise salle du Concile, la prétendue statue de Huss, la place où Jérôme de Prague et Jean Huss furent, dit-on, brûlés ; enfin, toutes les abominations ordinaires de l’histoire et de la société.

Le Rhin, en sortant du lac, s’annonce bien comme un roi ; pourtant il n’a pu défendre Constance, qui a, si je ne me trompe, été saccagée par Attila, assiégée par les Hongrois, les Suédois, et prise deux fois par les Français.

Constance est le Saint-Germain de l’Allemagne ; les vieilles gens de la vieille société s’y sont retirés. Quand je frappais à une porte, m’enquérant d’un appartement pour madame de Chateaubriand, je rencontrais quelque chanoinesse, fille majeure ; quelque prince de race antique, électeur à demi-solde ; ce qui allait fort bien avec les clochers abandonnés et les couvents déserts de la ville. L’armée de Condé a combattu glorieusement sous les murs de Constance et semble avoir déposé son ambulance dans cette ville. J’eus le malheur de retrouver un vétéran émigré ; il me faisait l’honneur de m’avoir connu autrefois ; il avait plus de jours que de cheveux ; ses paroles ne finissaient point ; il ne pouvait se retenir et laissait aller ses années.

Le 29 d’août j’allai dîner à Arenenberg.

Arenenberg est situé sur une espèce de promontoire dans une chaîne de collines escarpées. La reine de Hollande, que l’épée avait faite et que l’épée a défaite, a bâti le château, ou, si l’on veut, le pavillon d’Arenenberg. On y jouit d’une vue étendue, mais triste. Cette