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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

fainéant de Naples ou de Palerme : mais les beaux pays et le printemps sont devenus des injures, des désastres et des regrets.

En arrivant à Berne, on nous apprit qu’il y avait une grande révolution dans la ville : j’avais beau regarder, les rues étaient désertes, le silence régnait, la terrible révolution s’accomplissait sans parler, à la paisible fumée d’une pipe au fond de quelque estaminet.

Madame Récamier ne tarda pas à nous rejoindre à Genève.

Genève, fin de septembre 1832.

J’ai commencé à me remettre sérieusement au travail : j’écris le matin et je me promène le soir. Je suis allé hier visiter Coppet. Le château était fermé ; on m’en a ouvert les portes ; j’ai erré dans les appartements déserts. Ma compagne de pèlerinage a reconnu tous les lieux où elle croyait voir encore son amie, ou assise à son piano, ou entrant, ou sortant, ou causant sur la terrasse qui borde la galerie ; madame Récamier a revu la chambre qu’elle avait habitée ; des jours écoulés ont remonté devant elle : c’était comme une répétition de la scène que j’ai peinte dans René : « Je parcourus les appartements sonores où l’on n’entendait que le bruit de mes pas… Partout les salles étaient détendues, et l’araignée filait sa toile dans les couches abandonnées… Qu’ils sont doux, mais qu’ils sont rapides les moments que les frères et les sœurs passent dans leurs jeunes années, réunis sous l’aile de leurs vieux parents ! La famille de l’homme n’est que d’un jour ; le souffle de Dieu la disperse comme une fumée. À