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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

époque je disais dans une narration qui fut imprimée alors : « Ce lieu est propre à la réflexion et à la rêverie ; je remonte dans ma vie passée ; je sens le poids du présent ; je cherche à pénétrer mon avenir : où serai-je, que ferai-je et que serai-je dans vingt ans d’ici ? »

Vingt ans ! cela me semblait un siècle ; je croyais bien habiter ma tombe avant que ce siècle se fût écoulé. Et ce n’est pas moi qui ai passé, c’est le maître du monde et son empire qui ont fui !

Presque tous les voyageurs anciens et modernes n’ont vu dans la campagne romaine que ce qu’ils appellent son horreur et sa nudité. Montaigne lui-même, à qui certes l’imagination ne manquait pas, dit : « Nous avions loin sur notre main gauche l’Apennin, le prospect du pays malplaisant, bossé, plein de profondes fendasses… le territoire nud, sans arbres, une bonne partie stérile. »

Le protestant Milton porte sur la campagne de Rome un regard aussi sec et aussi aride que sa foi. Lalande et le président de Brosses sont aussi aveugles que Milton.

On ne retrouve guère que dans le Voyage sur la scène des six derniers livres de l’Énéide, de M. de Bonstetten, publié à Genève en 1804, un an après ma lettre à M. de Fontanes (imprimée dans le Mercure vers la fin de l’année 1803), quelques sentiments vrais de cette admirable solitude, encore sont-ils mêlés d’objurgations : « Quel plaisir de lire Virgile sous le ciel d’Énée, et pour ainsi dire en présence des dieux d’Homère ! dit M. de Bonstetten ; quelle solitude profonde dans ces déserts, où l’on ne voit que