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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

guère encore, elle proclamait l’indépendance des colonies espagnoles, en même temps qu’elle refusait de reconnaître celle de la Grèce ; elle envoyait ses flottes appuyer les insurgés du Mexique, et faisait arrêter dans la Tamise quelques chétifs bateaux à vapeur destinés pour les Hellènes ; elle admettait la légitimité des droits de Mahmoud, et niait celle des droits de Ferdinand ; vouée tour à tour au despotisme ou à la démocratie, selon le vent qui amenait dans ses ports les vaisseaux des marchands de la cité.

« Enfin, en nous associant aux projets guerriers de l’Angleterre et de l’Autriche contre la Russie, où irions-nous chercher notre ancien adversaire d’Austerlitz ? il n’est point sur nos frontières. Ferions-nous donc partir à nos frais cent mille hommes bien équipés, pour secourir Vienne ou Constantinople ? Aurions-nous une armée à Athènes pour protéger les Grecs contre les Turcs, et une armée à Andrinople pour protéger les Turcs contre les Russes ? Nous mitraillerions les Osmanlis en Morée, et nous les embrasserions aux Dardanelles ? Ce qui manque de sens commun dans les affaires humaines ne réussit pas.

« Admettons néanmoins, en dépit de toute vraisemblance, que nos efforts fussent couronnés d’un plein succès dans cette triple alliance contre nature, supposons que la Prusse demeurât neutre pendant tout ce démêlé, ainsi que les Pays-Bas, et que, libres de porter nos forces au dehors, nous ne fussions pas obligés de nous battre à soixante lieues de Paris : eh bien ! quel profit retirerions-nous de