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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

nière puissance s’étendît du côté de la Bulgarie que la France du côté de la Bavière.

« Mais l’indépendance de l’Europe serait menacée si les czars faisaient de Constantinople la capitale de leur empire ?

« Il faut expliquer ce que l’on entend par l’indépendance de l’Europe : veut-on dire que, tout équilibre étant rompu, la Russie, après avoir fait la conquête de la Turquie européenne, s’emparerait de l’Autriche, soumettrait l’Allemagne et la Prusse, et finirait par asservir la France ?

« Et d’abord, tout empire qui s’étend sans mesure perd de sa force ; presque toujours il se divise ; on verrait bientôt deux ou trois Russies ennemies les unes des autres.

« Ensuite l’équilibre de l’Europe existe-t-il pour la France depuis les derniers traités ?

« L’Angleterre a conservé presque toutes les conquêtes qu’elle a faites dans les colonies de trois parties du monde pendant la guerre de la Révolution ; en Europe elle a acquis Malte et les îles Ioniennes ; il n’y a pas jusqu’à son électorat de Hanovre qu’elle n’ait enflé en royaume et agrandi de quelques seigneuries.

« L’Autriche a augmenté ses possessions d’un tiers de la Pologne et des rognures de la Bavière, d’une partie de la Dalmatie et de l’Italie. Elle n’a plus, il est vrai, les Pays-Bas ; mais cette province n’a point été dévolue à la France, et elle est devenue contre nous une auxiliaire redoutable de l’Angleterre et de la Prusse.

« La Prusse s’est agrandie du duché ou palatinat de