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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

« Si les puissances belligérantes ne peuvent arriver à un arrangement pendant l’hiver ; si le reste de l’Europe croit devoir au printemps se mêler de la querelle ; si des alliances diverses sont proposées ; si la France est absolument obligée de choisir entre ces alliances ; si les événements la forcent de sortir de sa neutralité, tous ses intérêts doivent la décider à s’unir de préférence à la Russie ; combinaison d’autant plus sûre qu’il serait facile, par l’offre de certains avantages, d’y faire entrer la Prusse.

« Il y a sympathie entre la Russie et la France ; la dernière a presque civilisé la première dans les classes élevées de la société ; elle lui a donné sa langue et ses mœurs. Placées aux deux extrémités de l’Europe, la France et la Russie ne se touchent point par leurs frontières ; elles n’ont point de champ de bataille où elles puissent se rencontrer ; elles n’ont aucune rivalité de commerce, et les ennemis naturels de la Russie (les Anglais et les Autrichiens) sont aussi les ennemis naturels de la France. En temps de paix, que le cabinet des Tuileries reste l’allié du cabinet de Saint-Pétersbourg, et rien ne peut bouger en Europe. En temps de guerre, l’union des deux cabinets dictera des lois au monde.

« J’ai fait voir assez que l’alliance de la France avec l’Angleterre et l’Autriche contre la Russie est une alliance de dupe, où nous ne trouverions que la perte de notre sang et de nos trésors. L’alliance de la Russie, au contraire, nous mettrait à même d’obtenir des établissements dans l’Archipel et de