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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

La domesticité était si naturelle à la cour, que M. de Damas, en choisissant M. La Villate, n’avait jamais voulu lui octroyer d’autre titre que le titre de premier valet de chambre de monseigneur le duc de Bordeaux. À la première vue, je me pris de goût pour ce militaire à crocs gris, dogue fidèle, chargé d’aboyer autour de son mouton. Il appartenait à ces loyaux porte-grenade qu’estimait l’effrayant maréchal de Montluc, et dont il disait : « Il n’y a point d’arrière-boutique en eux. » M. La Villate sera renvoyé pour sa sincérité, non à cause de sa brusquerie : de la brusquerie de caserne, on s’en arrange ; souvent l’adulation au camp fume la flatterie d’un air indépendant. Mais, chez le vieux brave dont je parle, tout était franchise ; il aurait retiré avec honneur sa moustache, s’il avait emprunté dessus 30 000 piastres comme Jean de Castro. Sa figure rébarbative n’était que l’expression de la liberté ; il avertissait seulement par son air qu’il était prêt. Avant de mettre au champ leur armée, les Florentins en prévenaient l’ennemi par le son de la cloche Martinella.

Prague, 27 mai 1833.

J’avais formé le projet d’entendre la messe à la cathédrale, dans l’enceinte des châteaux ; retenu par les visiteurs, je n’eus que le temps d’aller à la basilique des ci-devant jésuites. On y chantait avec accompagnement d’orgues. Une femme, placée auprès de moi, avait une voix dont l’accent me fit tourner la tête. Au moment de la communion, elle se couvrit le visage de ses deux mains et n’alla point à la sainte table.