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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Hélas ! j’ai déjà exploré bien des églises dans les quatre parties de la terre, sans avoir pu dépouiller, même au tombeau du Sauveur, le rude cilice de mes pensées. J’ai peint Aben-Hamet errant dans la mosquée chrétienne de Cordoue : « Il entrevit au pied d’une colonne une figure immobile, qu’il prit d’abord pour une statue sur un tombeau. »

L’original de ce chevalier qu’entrevoyait Aben-Hamet était un moine que j’avais rencontré dans l’église de l’Escurial, et dont j’avais envié la foi. Qui sait cependant les tempêtes au fond de cette âme si recueillie, et quelle supplication montait vers le pontife saint et innocent ? Je venais d’admirer, dans la sacristie déserte de l’Escurial, une des plus belles Vierges de Murillo ; j’étais avec une femme : elle me montra la première le religieux sourd au bruit des passions qui traversaient auprès de lui le formidable silence du sanctuaire.

Après la messe à Prague j’envoyai chercher une calèche ; je pris le chemin tracé dans les anciennes fortifications et par lequel les voitures montent au château. On était occupé à dessiner des jardins sur ces remparts : l’euphonie d’une forêt y remplacera le fracas de la bataille de Prague ; le tout sera très beau dans une quarantaine d’années : Dieu fasse que Henri V ne demeure pas assez longtemps ici pour jouir de l’ombre d’une feuille qui n’est pas encore née !

Devant dîner le lendemain chez le gouverneur, je crus qu’il était poli d’aller voir madame la comtesse de Choteck : je l’aurais trouvée aimable et belle, quand elle ne m’eût pas cité de mémoire des passages de mes écrits.