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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

En parlant de la dernière calamité des Bourbons, leur commencement me revient en mémoire : je ne sais quel augure de leur tombe se fit entendre à leur berceau. Henri IV ne se vit pas plutôt maître de Paris qu’il fut saisi d’un pressentiment funeste. Les entreprises d’assassinat qui se renouvelaient, sans alarmer son courage, influaient sur sa gaieté naturelle. À la procession du Saint-Esprit, le 5 janvier 1595, il parut habillé de noir, portant à la lèvre supérieure un emplâtre sur la blessure que Jean Châtel lui avait faite à la bouche en le voulant frapper au cœur. Il avait le visage morne ; madame de Balagni lui en ayant demandé la cause : « Comment, lui répondit-il, pourrois-je être content de voir un peuple si ingrat, qu’encore que j’aie fait et fasse tous les jours ce que je puis pour lui, et pour le salut duquel je voudrois sacrifier mille vies, si Dieu m’en avoit donné autant, me dresser tous les jours de nouveaux attentats, car depuis que je suis ici je n’oy parler d’autre chose ? »

Cependant ce peuple criait : Vive le roi ! « Sire, dit un seigneur de la cour, voyez comme tout votre peuple se réjouit de vous voir. » Henri, secouant la tête : « C’est un peuple. Si mon plus grand ennemi étoit là où je suis, et qu’il le vît passer, il lui en feroit autant qu’à moi et crieroit encore plus haut. »

Un ligueur apercevant le roi affaissé au fond de son carrosse, dit : « Le voilà déjà au cul de la charette. » Ne vous semble-t-il pas que ce ligueur parlait de Louis XVI allant du Temple à l’échafaud ?

Le vendredi 14 mai 1610, le roi, revenant des Feuillants avec Bassompierre et le duc de Guise, leur dit : « Vous ne me connoissez pas maintenant, vous autres,