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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

revint s’asseoir sur le sofa, reprit son ouvrage, et nous fîmes cercle autour. Trogoff conta des histoires, Madame les aime. Elle s’occupe particulièrement des femmes. Il fut question de la duchesse de Guiche : « Ses tresses ne lui vont pas bien, » dit la dauphine, à mon grand étonnement[1].

De son sofa, Madame voyait à travers la fenêtre ce qui se passait au dehors : elle nommait les promeneurs et les promeneuses. Arrivèrent deux petits chevaux, avec deux jockeys vêtus à l’écossaise ; Madame cessa de travailler, regarda beaucoup et dit : « C’est madame…… (j’ai oublié le nom) qui va dans la montagne avec ses enfants. » Marie-Thérèse curieuse, sachant les habitudes du voisinage, la princesse des trônes et des échafauds descendue des hauteurs de sa vie au niveau des autres femmes, m’intéressait singulièrement ; je l’observais avec une sorte d’attendrissement philosophique.

À cinq heures, la dauphine s’alla promener en calèche ; à sept, j’étais revenu à la soirée. Même établissement : Madame sur le sofa, les personnes du dîner et cinq ou six jeunes et vieilles buveuses d’eau élargissant le cercle. La dauphine faisait des efforts touchants, mais visibles, pour être gracieuse ; elle adres-

  1. « Ses tresses, en effet, dit ici M. de Marcellus (Chateaubriand et son temps, p. 453), ne laissaient pas admirer dans toute leur beauté et leur abondance les cheveux de la duchesse de Guiche. En 1814, je les avais vus errer plus libres sur ses épaules adolescentes un jour où mademoiselle Ida d’Orsay assistait à une revue de la garde royale. Cette revue montrait à la fois son père, le superbe général, et, tout auprès, un charmant colonel, le duc de Guiche, qu’elle devait plus tard choisir pour époux : Achille et Nirée, les deux plus beaux guerriers de l’armée qui assiégea Troie ».