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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

à Carlsbad les cloches qui devaient appeler sa petite-fille au pied de la croix.

Madame étant entrée dans le jardin, je m’avançai vers elle : elle sembla surprise de cette flatterie de courtisan. Je m’étais rarement levé si matin pour les personnes royales, hors peut-être le 13 février 1820, lorsque j’allai chercher le duc de Berry à l’Opéra[1]. La

  1. Dans ses Mémoires sur le duc de Berry, Chateaubriand parle en ces termes de cette nuit du 13 au 14 février 1820 : « La foule s’était écoulée du spectacle : le plaisir avait cédé la place à la douleur. Les rues devenaient désertes ; le silence croissait ; on n’entendait plus que le bruit des gardes et celui de l’arrivée des personnes de la cour ; les unes surprises au milieu des plaisirs, accouraient en habits de fête ; les autres réveillées au milieu de la nuit, se présentaient dans le plus grand désordre. Çà et là se glissaient quelques obscurs amis des Bourbons qu’on ne voit point dans les temps de la prospérité, et qui se retrouvent, on ne sait comment, au jour du malheur. Les passages conduisant à l’appartement du prince étaient remplis ; on se pressait à ces mêmes portes où l’on s’étouffe pour rire ou pour pleurer aux fictions de la scène. On cherchait à découvrir quelque chose lorsque les portes venaient à s’ouvrir, on interrogeait ses voisins, et, par des nouvelles, subitement affirmées, subitement démenties, on passait de la crainte à l’espérance, de l’espérance au désespoir. »

    Témoin de quelques-unes des scènes de cette nuit à jamais funeste, Chateaubriand les a ainsi décrites :

    « Nuit d’épouvante et de plaisir ! nuit de vertus et de crimes ! Lorsque le Fils de France blessé avait été porté dans le cabinet de sa loge, le spectacle durait encore. D’un côté, on entendait les sons de la musique, de l’autre les soupirs du prince expirant ; un rideau séparait les folies du monde de la destruction d’un empire. Le prêtre qui apporta les saintes huiles traversa une troupe de masques. Soldat du Christ, armé pour ainsi dire de Dieu, il emporta d’assaut l’asile dont l’Église lui interdisait l’entrée, et vint, le crucifix à la main, délivrer un captif dans la prison de l’ennemi.

    « Une autre scène se passait près de là : on interrogeait l’assassin. Il déclarait son nom, s’applaudissait de son crime ; il déclarait qu’il avait frappé Monseigneur le duc de Berry pour tuer