Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/173

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
159
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

« Votre Majesté n’a plus d’ordres à me donner ? je crains d’être importun.

« — Dites à vos amis combien j’aime la France ; qu’ils sachent bien que je suis Française. Je vous charge particulièrement de dire cela ; vous me ferez plaisir de le dire : je regrette bien la France, je regrette beaucoup la France.

« — Ah ! madame, que vous a donc fait cette France ? vous qui avez tant souffert, comment avez-vous encore le mal du pays ?

« — Non, non, monsieur de Chateaubriand, ne l’oubliez pas, dites-leur bien à tous que je suis Française, que je suis Française. »

Madame me quitta ; je fus obligé de m’arrêter dans l’escalier avant de sortir ; je n’aurais pas osé me montrer dans la rue ; mes pleurs mouillent encore ma paupière en retraçant cette scène.

Rentré à mon auberge, je repris mon habit de voyage. Tandis qu’on apprêtait la voiture, Trogoff bavardait ; il me redisait que madame la dauphine était très contente de moi, qu’elle ne s’en cachait pas, qu’elle le racontait à qui voulait l’entendre. « C’est une chose immense que votre voyage ! » criait Trogoff, tâchant de dominer la voix de ses deux rossignols. « Vous verrez les suites de cela ! » Je ne croyais à aucune suite.

J’avais raison ; on attendait le soir même M. le duc de Bordeaux. Bien que tout le monde connût son arrivée, on m’en avait fait mystère. Je me donnai garde de me montrer instruit du secret.

À six heures du soir, je roulais vers Paris. Quelle que soit l’immensité de l’infortune à Prague, la peti-