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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Sylvandre. Le poète ajoute, en s’adressant à la margrave :

Des tranquilles hauteurs de la philosophie,
Ta pitié contemplait, avec des yeux sereins,
Les fantômes changeants du songe de la vie,
Tant de rêves détruits, tant de projets si vains.

Du haut d’un palais, il est aisé de contempler avec des yeux sereins les pauvres diables qui passent dans la rue, mais ces vers n’en sont pas moins d’une raison puissante… Qui les sentirait mieux que moi ? J’ai vu défiler tant de fantômes à travers le songe de la vie ! Dans ce moment même, ne viens-je pas de contempler les trois larves royales du château de Prague et la fille de Marie-Antoinette à Carlsbad ? En 1733, il y a juste un siècle, de quoi s’occupait-on ici ? avait-on la moindre idée de ce qui est aujourd’hui ? Lorsque Frédéric se mariait en 1733, sous la rude tutelle de son père, avait-il vu dans Matthieu Laensberg M. de Tournon[1] intendant de Bayreuth, et quittant cette intendance pour la préfecture de Rome ? En 1933, le voyageur passant en Franconie demandera à mon ombre si j’aurais pu deviner les faits dont il sera le témoin.

Tandis que je déjeunais, j’ai lu des leçons qu’une dame allemande, jeune et jolie nécessairement, écrivait sous la dictée d’un maître :

« Celui qu’il est content, est riche. Vous et je nous avons peu d’argent ; mais nous sommes content.

  1. Sur le comte de Tournon qui, après avoir été intendant de Bayreuth, fut préfet de Rome, de 1809 à 1814, voir au tome V la note 1 de la page 58 (note 76 du Livre XII de la Troisième Partie).