Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/207

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
193
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

habit ; dansez pour un os ou pour un coup de pied, comme nous faisons nous autres hommes ; mais n’allez pas vous tromper en sautant pour le roi !

Lecteurs, supportez ces arabesques ; la main qui les dessina ne vous fera jamais d’autre mal ; elle est séchée. Souvenez-vous, quand vous les verrez, qu’ils ne sont que les capricieux enroulements tracés par un peintre à la voûte de son tombeau.

À la douane, un vieux cadet de commis a fait semblant de visiter ma calèche. J’avais préparé une pièce de cent sous ; il la voyait dans ma main, mais il n’osait la prendre à cause des chefs qui le surveillaient. Il a ôté sa casquette sous prétexte de me mieux fouiller, l’a posée sur le coussin devant moi, me disant tout bas : « Dans ma casquette, s’il vous plaît. » Oh ! le grand mot ! Il renferme l’histoire du genre humain ; que de fois la liberté, la fidélité, l’amitié, le dévouement, l’amour ont dit : « Dans ma casquette, s’il vous plaît ! » Je donnerai ce mot à Béranger pour le refrain d’une chanson.

Je fus frappé, en entrant à Metz, d’une chose que je n’avais pas remarquée en 1821 ; les fortifications à la moderne enveloppent les fortifications à la gothique : Guise et Vauban sont deux noms bien associés.

Nos ans et nos souvenirs sont étendus en couches régulières et parallèles, à différentes profondeurs de notre vie, déposés par les flots du temps qui passent successivement sur nous. C’est de Metz que sortit en 1792 la colonne engagée sous Thionville avec notre petit corps d’émigrés. J’arrive de mon pèlerinage à la retraite du prince banni que je servais dans son premier exil. Je lui donnai alors un peu de mon sang, je