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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

seul nom que l’on puisse prononcer quand on vient à s’abîmer dans la contemplation des impénétrables conseils de sa providence.

« L’éloge est suspect quand il s’adresse à la prospérité : avec la dauphine l’admiration est à l’aise. Je l’ai dit, madame : vos malheurs sont montés si haut, qu’ils sont devenus une des gloires de la révolution. J’aurai donc rencontré une fois dans ma vie des destinées assez supérieures, assez à part, pour leur dire, sans crainte de les blesser ou de n’être pas compris, ce que je pense de l’état futur de la société. On peut causer avec vous du sort des empires, vous qui verriez passer sans les regretter, aux pieds de votre vertu, tous ces royaumes de la terre dont plusieurs se sont déjà écoulés aux pieds de votre race.

« Les catastrophes qui vous firent leur plus illustre témoin et leur plus sublime victime, toutes grandes qu’elles paraissent, ne sont néanmoins que les accidents particuliers de la transformation générale qui s’opère dans l’espèce humaine ; le règne de Napoléon, par qui le monde a été ébranlé, n’est qu’un anneau de la chaîne révolutionnaire. Il faut partir de cette vérité pour comprendre ce qu’il y a de possible dans une troisième restauration, et quel moyen cette restauration a de s’encadrer dans le plan du changement social. Si elle n’y entrait pas comme un élément homogène, elle serait inévitablement rejetée d’un ordre de choses contraires à sa nature.

« Ainsi, madame, si je vous disais que la légitimité a des chances de revenir par l’aristocratie de la noblesse et du clergé avec leurs privilèges, par la cour