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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

ciété n’est entièrement détruite, nulle entièrement fondée ; tout y est usé ou neuf, ou décrépit ou sans racine ; tout y a la faiblesse de la vieillesse ou de l’enfance. Les royaumes sortis des circonscriptions territoriales tracées par les derniers traités sont d’hier ; l’attachement à la patrie a perdu sa force, parce que la patrie est incertaine et fugitive pour des populations vendues à la criée, brocantées comme des meubles d’occasion, tantôt adjointes à des populations ennemies, tantôt livrées à des maîtres inconnus. Défoncé, sillonné, labouré, le sol est ainsi préparé à recevoir la semence démocratique, que les journées de Juillet ont mûrie.

« Les rois croient qu’en faisant sentinelle autour de leurs trônes ils arrêteront les mouvements de l’intelligence ; ils s’imaginent qu’en donnant le signalement des principes ils les feront saisir aux frontières ; ils se persuadent qu’en multipliant les douanes, les gendarmes, les espions de police, les commissions militaires, ils les empêcheront de circuler. Mais ces idées ne cheminent pas à pied, elles sont dans l’air, elles volent, on les respire. Les gouvernements absolus, qui établissent des télégraphes, des chemins de fer, des bateaux à vapeur, et qui veulent en même temps retenir les esprits au niveau des dogmes politiques du xive siècle, sont inconséquents ; à la fois progressifs et rétrogrades, ils se perdent dans la confusion résultante d’une théorie et d’une pratique contradictoires. On ne peut séparer le principe industriel du principe de la liberté ; force est de les étouffer tous les deux ou de les admettre l’un et l’autre. Partout où la langue française