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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

ques, chargé d’incohérentes dépouilles de l’Orient, je me trouvais à la fois à Saint-Vital de Ravenne, à Sainte-Sophie de Constantinople, à Saint-Sauveur de Jérusalem, et dans ces moindres églises de la Morée, de Chio et de Malte : Saint-Marc, monument d’architecture byzantine, composite de victoire et de conquête élevé à la croix, comme Venise entière est un trophée. L’effet le plus remarquable de son architecture est son obscurité sous un ciel brillant ; mais aujourd’hui, 10 septembre, la lumière du dehors, émoussée, s’harmoniait avec la basilique sombre. On achevait les quarante heures ordonnées pour obtenir du beau temps. La ferveur des fidèles, priant contre la pluie, était grande : un ciel gris et aqueux semble la peste aux Vénitiens.

Nos vœux ont été exaucés : la soirée est devenue charmante : la nuit je me suis promené sur le quai. La mer s’étendait unie ; les étoiles se mêlaient aux feux épars des barques et des vaisseaux ancrés çà et là. Les cafés étaient remplis ; mais on ne voyait ni Polichinelles, ni Grecs, ni Barbaresques : tout finit. Une madone, fort éclairée au passage d’un pont, attirait la foule : de jeunes filles à genoux disaient dévotement leurs patenôtres ; de la main droite elles faisaient le signe de la croix, de la main gauche elles arrêtaient les passants. Rentré à mon auberge, je me suis couché et endormi au chant des gondoliers stationnés sous mes fenêtres.

J’ai pour guide Antonio, le plus vieux et le plus instruit des ciceroni du pays : il sait par cœur les palais, les statues et les tableaux.

Le 11 septembre, visite à l’abbé Betio et à M. Gamba,