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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

contracter un nouveau mariage, il reprend le chemin de Ferrare. Un esprit divin s’attachait aux pas de ce dieu caché sous l’habit des pasteurs d’Admète ; il croyait voir cet esprit et l’entendre : un jour, étant assis près du feu et apercevant la lumière du soleil sur une fenêtre : « Ecco l’amico spirito che cortesemente è venuto a favellarmi. Voilà l’esprit ami qui est venu courtoisement me parler. » Et Torquato causait avec un rayon de soleil. Il rentra dans la ville fatale comme l’oiseau fasciné se jette dans la gueule du serpent ; méconnu et repoussé des courtisans, outragé par les domestiques. Il se répandit en plaintes, et Alphonse le fit enfermer dans une maison de fous à l’hôpital Sainte-Anne.

Alors le poète écrivait à un de ses amis : « Sous le poids de mes infortunes, j’ai renoncé à toute pensée de gloire ; je m’estimerais heureux si je pouvais seulement éteindre la soif qui me dévore… L’idée d’une captivité sans terme et l’indignation des mauvais traitements que je subis augmentent mon désespoir. La saleté de ma barbe, celle de mes cheveux et de mes vêtements, me rendent un objet de dégoût pour moi-même. »

Le prisonnier implorait toute la terre et jusqu’à son impitoyable persécuteur ; il tirait de sa lyre des accents qui auraient dû faire tomber les murs dont on entourait ses misères.

Piango il morir ; non piango il morir solo,
Ma il modo .  .  .  .  .  .  .  .  
.  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  
Mi saria di conforto, aver la tomba,
Ch’ altra mole innalzar credea co’ carmi.