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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

asile pendant une tempête de vent et de pluie. Les moines le reçurent à la porte où s’effacent aujourd’hui les fresques du Dominiquin. Il salua les pères : « Je viens mourir au milieu de vous. » Cloîtres hospitaliers, déserts de religion et de poésie, vous avez prêté votre solitude à Dante proscrit et au Tasse mourant !

Tous les secours furent inutiles. À la septième matinée de la fièvre, le médecin du pape déclara au malade qu’il conservait peu d’espérance. Le Tasse l’embrassa et le remercia de lui avoir annoncé une aussi bonne nouvelle. Ensuite il regarda le ciel et, avec une abondante effusion du cœur, il rendit grâces au Dieu des miséricordes.

Sa faiblesse augmentant, il voulut recevoir l’eucharistie à l’église du monastère : il s’y traîna appuyé sur les religieux et revint porté dans leurs bras. Lorsqu’il fut étendu de nouveau sur sa couche, le prieur l’interrogea à propos de ses dernières volontés.

« Je me suis bien peu soucié des biens de la fortune durant la vie ; j’y tiens encore moins à la mort. Je n’ai point de testament à faire.

« — Où marquez-vous votre sépulture ?

« — Dans votre église, si vous daignez tant honorer ma dépouille.

« — Voulez-vous dicter vous-même votre épitaphe ? »

Or, se tournant vers son confesseur : « Mon père, écrivez : Je rends mon âme à Dieu qui me l’a donnée, et mon corps à la terre dont il fut tiré. Je lègue à ce monastère l’image sacrée de mon Rédempteur. »