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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

changée, bien qu’amaigrie ; elle avait quelque chose d’une petite fille éveillée.

Je marchais devant elle ; elle donnait le bras à M. de Lucchesi ; madame de Podenas[1] la suivait. Nous montâmes les escaliers et entrâmes dans les appartements entre deux rangs de grenadiers, au fracas des armes, au bruit des fanfares, aux vivat des spectateurs. On me prenait pour le majordome, on s’adressait à moi pour être présenté à la mère de Henri V. Mon nom se liait à ces noms dans l’esprit de la foule.

Il faut savoir que Madame, depuis Palerme jusqu’à Ferrare, a été reçue avec les mêmes respects, malgré les notes des envoyés de Louis-Philippe. M. de Broglie ayant eu la bravoure de demander au pape le renvoi de la proscrite, le cardinal Bernetti répondit : « Rome a toujours été l’asile des grandeurs tombées. Si dans ses derniers temps la famille de Bonaparte trouva un refuge auprès du Père des fidèles, à plus forte raison la même hospitalité doit-elle être exercée envers la famille des rois très chrétiens. »

Je crois peu à cette dépêche, mais j’étais vivement frappé d’un contraste ; en France, le gouvernement prodigue des insultes à une femme dont il a peur ; en Italie, on ne se souvient que du nom, du courage et des malheurs de madame la duchesse de Berry.

  1. La marquise de Podenas, dame d’honneur de la duchesse de Berry, était une demoiselle de Nadaillac. Elle eut un fils qui épousa Mlle Yermoloff, dont le père vendit le château de Kirchberg au duc de Blacas, traitant pour le compte de Charles X. L’un de ses petit-fils s’engagea dans les zouaves en 1870 ; frappé d’une balle au front à Champigny, il dit aux hommes qui voulaient le relever : « Ne pensez pas à moi, mais à l’honneur de votre drapeau. » (Mémoires du duc des Cars, p. iv).