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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

sache par où s’introduit la lumière. Cette église a plusieurs bons tableaux de Paul Véronèse, de Liberi, de Palma, etc.

Saint-Antoine de Padoue (il Santo) présente un monument gothique grécisé, style particulier aux anciennes églises de la Vénétie. La chapelle Saint-Antoine est de Jacques Sansovino et de François son fils : on s’en aperçoit de prime abord ; les ornements et la forme sont dans le goût de la loggeta du clocher de Saint-Marc.

Une signora en robe verte, en chapeau de paille recouvert d’une voile, priait devant la chapelle du saint, un domestique en livrée priait également derrière elle : je supposai qu’elle faisait un vœu pour le soulagement de quelque mal moral ou physique ; je ne me trompais pas ; je la retrouvai dans la rue : femme d’une quarantaine d’années, pâle, maigre, marchant roide et d’un air souffrant, j’avais deviné son amour ou sa paralysie. Elle était sortie de l’église avec l’espérance : dans l’espace de temps qu’elle offrait au ciel sa fervente oraison, n’oubliait-elle pas sa douleur, n’était-elle pas réellement guérie ?

Il Santo abonde en mausolées ; celui de Bembo[1] est célèbre. Au cloître on rencontre la tombe du jeune d’Orbesan, mort en 1595.

Gallus eram, putavi, morior, spes una parentum !

  1. Le cardinal Pierre Bembo (1470-1547), secrétaire de Léon X pour les lettres latines. Le monument élevé à Bembo dans l’intérieur de Saint-Antoine de Padoue est une des plus belles œuvres de la renaissance italienne ; son buste, ouvrage exquis de Cattaneo Danese, est justement vanté par Vasari et par l’Arétin.