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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

gnée ou de mon père, ou de ma mère, ou d’un frère ? Comment peut-il dire que je lui ai confié un amour, moi qui étais toujours à mes écoles, moi qui, à peine commençant à savoir quelque chose, ne pouvais connaître ni l’amour, ni le monde ; seulement consacrée que j’étais aux devoirs de la religion, à ceux d’une obéissante fille, toujours occupée de mes travaux, mes seuls plaisirs ?

« Je jure que je ne lui ai jamais parlé (à Pellico) ni d’amour, ni de quoi que ce soit ; mais si quelquefois je le voyais, je le regardais d’un œil de pitié, parce que mon cœur était pour chacun de mes semblables plein de compassion. Aussi je haïssais le lieu où mon père se trouvait par fortune : il avait toujours occupé une autre place ; mais après avoir été un brave soldat, ayant bien servi la République et ensuite son souverain, il fut mis contre sa volonté et celle de sa famille dans cet emploi.

« Il est très faux (falsissimo) que j’aie jamais pris une main du susdit Silvio, ni comme celle de mon père, ni comme celle de mon frère ; premièrement parce que, bien que jeunette et privée d’expérience, j’avais suffisamment reçu d’éducation pour connaître mes devoirs.

« Comment peut-il dire avoir été par moi embrassé, moi qui n’aurais pas fait cela avec un frère même : tels étaient les scrupules qu’avait imprimés dans mon cœur l’éducation reçue dans les couvents où mon père m’avait maintenue !

« Vraiment, il arrivera que j’ai été plus connue de lui (Pellico) qu’il ne le pouvait être de moi. Je me tenais journellement en la compagnie de mes frères