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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

fus gracieux envers le comte de Montbel ; je lui parlai du Colisée. Il retournait à Vienne se mettre à la disposition du prince de Metternich et servir d’intermédiaire à la correspondance de M. de Blacas. À onze heures, j’écrivais au gouverneur la lettre convenue : je pris soin de la dignité de Madame, n’engageant point S. A. R. et lui réservant toute faculté d’agir.

« Padoue, ce 20 septembre 1833.
« Monsieur le gouverneur,

« S. A. R. madame la duchesse de Berry veut bien, pour le moment, se conformer aux ordres qui vous ont été transmis. Son projet est d’aller à Venise en se rendant à Trieste ; là, d’après les renseignements que j’aurai l’honneur de lui adresser, elle prendra une dernière résolution.

« Agréez, je vous prie, mes remercîments les plus sincères, et l’assurance de la haute considération avec laquelle je suis,

« Monsieur le gouverneur,
« Votre très-humble et très-obéissant serviteur,
« Chateaubriand. »

Le délégué, en lisant cette lettre, en fut très content. Madame sortie de la Lombardie vénitienne, lui et le gouverneur cessaient d’être responsables ; les faits et gestes de la duchesse de Berry à Trieste ne regardaient plus que les autorités de l’Istrie ou du Frioul ; c’était à qui se débarrasserait de l’infortune : dans

un certain jeu, on se hâte de passer à son voisin un petit morceau de papier.

À dix heures, je pris congé de la princesse. Elle remettait son sort et celui de son fils entre mes mains. Elle me faisait roi de France de sa façon. Dans un village de Belgique, j’ai eu quatre voix pour monter au trône qu’occupe le gendre de Philippe. Je dis à Madame : « Je me soumets à la volonté de Votre Altesse Royale, mais je crains de tromper ses espérances. Je n’obtiendrai rien à Prague. » Elle me poussa vers la porte : « Partez, vous pouvez tout. »

À onze heures, je montai en voiture : la nuit était pluvieuse. Il me semblait retourner à Venise, car je suivais la route de Mestre ; j’avais plus envie de revoir Zanze que Charles X.