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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

rées. Cette conversation était bien naturelle, et j’en étais cependant affligé ; j’aimais mieux notre ancien entretien sur les voyages et sur l’histoire.

Le roi vint et causa avec moi. Il me complimenta de rechef sur la note de majorité ; elle lui plaisait parce que, laissant de côté les abdications comme chose consommée, elle n’exigeait d’autre signature que celle de Henri, et ne ravivait aucune blessure. Selon Charles X, la déclaration serait envoyée de Vienne à M. Pastoret avant mon retour en France ; je m’inclinai avec un sourire d’incrédulité. Sa Majesté, après m’avoir frappé l’épaule selon sa coutume : « Chateaubriand, où allez-vous à présent ? — Tout bêtement à Paris, sire. — Non, non, pas bêtement, » reprit le roi, cherchant avec une sorte d’inquiétude le fond de ma pensée.

On apporta les journaux ; le dauphin s’empara des gazettes anglaises : tout d’un coup, au milieu d’un profond silence, il traduisit à haute voix ce passage du Times : « Il y a ici le baron de ***, haut de quatre pieds, âgé de soixante-quinze ans, et tout aussi vert qu’il était il y a cinquante ans. » Et puis monseigneur se tut.

Le roi se retira ; M. de Blacas me dit : « Vous devriez venir à Leoben avec nous. » La proposition n’était pas sérieuse. Je n’avais d’ailleurs aucune envie d’assister à une scène de famille ; je ne voulais ni diviser des parents, ni me mêler de réconciliations dangereuses. Lorsque j’entrevis la chance de devenir le favori d’une des deux puissances, je frémis ; la poste ne me semblait pas assez prompte pour m’éloigner de mes honneurs possibles. L’ombre de la fortune me