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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

tiste juré, tout en regardant les Girondins comme de pauvres diables parce qu’ils sont vaincus, n’en tirez pas moins de leur mort un tableau fantastique : ce sont de beaux jeunes hommes marchant, couronnés de fleurs, au sacrifice. Les Girondins, faction lâche, qui parlèrent en faveur de Louis XVI et votèrent son exécution, ont fait, il est vrai, merveille à l’échafaud ; mais qui ne donnait pas alors tête baissée sur la mort ? Les femmes se distinguèrent par leur héroïsme ; les jeunes filles de Verdun montèrent à l’autel comme Iphigénie ; les artisans, sur qui l’on se tait prudemment, ces plébéiens dont la Convention fit une moisson si large, bravaient le fer du bourreau aussi résolûment que nos grenadiers le fer de l’ennemi. Contre un prêtre et un noble, la Convention immola des milliers d’ouvriers dans les dernières classes du peuple[1] : c’est ce dont on ne se veut jamais souvenir.

M. Thiers fait-il état de ses principes ? Pas le moins du monde : il a préconisé le massacre, et il prêcherait l’humanité d’une manière tout aussi édifiante ; il se donnait pour fanatique des libertés, et il a opprimé Lyon, fusillé dans la rue Transnonain, et soutenu envers et contre tout les lois de septembre : s’il lit jamais ceci, il le prendra pour un éloge.

Devenu président du conseil et ministre des affaires

  1. Voir, dans la préface des Études historiques de Chateaubriand, le tableau des victimes de la Terreur, d’après les six volumes du républicain Prudhomme. 18 923 hommes non nobles, de divers états, 2 231 femmes de laboureurs ou d’artisans et 2 000 enfants furent guillotinés, noyés et fusillés. Dans la Vendée, 15 000 femmes furent tuées et presque toutes étaient des paysannes. Si horribles soient-ils, ces chiffres sont encore très au-dessous de la réalité.