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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Dernier acteur du drame joué depuis cinquante années, M. de La Fayette était demeuré sur la scène ; le chœur final de la tragédie grecque prononce la morale de la pièce : « Apprenez, ô aveugles mortels, à tourner les yeux sur le dernier jour de la vie. » Et moi, spectateur assis dans une salle vide, loges désertées, lumières éteintes, je reste seul de mon temps devant le rideau baissé, avec le silence et la nuit.

Armand Carrel[1] menaçait l’avenir de Philippe comme le général La Fayette poursuivait son passé. Vous savez comment j’ai connu M. Carrel[2] ; depuis 1832 je n’ai cessé d’avoir des rapports avec lui jusqu’au jour où je l’ai suivi au cimetière de Saint-Mandé.

Armand Carrel était triste ; il commençait à craindre que les Français ne fussent pas capables d’un sentiment raisonnable de liberté ; il avait je ne sais quel pressentiment de la brièveté de sa vie : comme une chose sur laquelle il ne comptait pas et à laquelle il n’attachait aucun prix, il était toujours prêt à risquer cette vie sur un coup de dés. S’il eût succombé dans son duel contre le jeune Laborie, à propos de Henri V[3], sa mort aurait eu du moins une grande

    en terminant ; ils ont paru tous deux. La citoyenne Saint-Aubin y est surtout charmante, et peut-être encore plus charmante qu’à son ordinaire. »

  1. Armand Carrel, né à Rouen le 8 mai 1800, mort à Saint-Mandé le 24 juillet 1836.
  2. Voy., au tome V des Mémoires, pages 445-447 (Livre Premier de la Quatrième Partie).
  3. L’échec de la prise d’armes de 1832 et la captivité de la duchesse de Berry avaient provoqué chez les royalistes des sentiments d’irritation et de douleur que surexcitèrent encore, dans les derniers jours de janvier 1833, l’envoi à Blaye par le gouver-