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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

petite fleur, selon ma coutume, je passais, avant qu’on sût mon nom, pour un être mystérieux : mes Mamelucks, au Caire, voulaient, bon gré, mal gré, que je fusse un général de Napoléon déguisé en savantasse ; ils n’en démordaient point et s’attendaient de quart d’heure en quart d’heure à me voir mettre l’Égypte dans la ceinture de mon cafetan.

C’est pourtant chez les peuples dont nous avons brûlé les villages et ravagé les moissons que ces sentiments existent. Je jouissais de cette gloire ; mais si nous n’avions fait que du bien à l’Allemagne, y serions-nous tant regrettés ? Inexplicable nature humaine !

Les maux de la guerre sont oubliés ; nous avons laissé au sol de nos conquêtes le feu de la vie. Cette masse inerte mise en mouvement continue de fermenter, parce que l’intelligence y commence. En voyageant aujourd’hui, on s’aperçoit que les peuples veillent le sac sur le dos ; prêts à partir, ils semblent nous attendre pour nous mettre à la tête de la colonne. Un Français est toujours pris pour l’aide de camp qui apporte l’ordre de marcher.

Ulm est une petite ville propre, sans caractère particulier ; ses remparts détruits se sont convertis en potagers ou en promenades, ce qui arrive à tous les remparts. Leur fortune a quelque chose de pareil à celle des militaires ; le soldat porte les armes dans sa jeunesse ; devenu invalide, il se fait jardinier.

J’allai voir la cathédrale, vaisseau gothique à flèche élevée. Les bas côtés se partagent en deux voûtes étroites soutenues par un seul rang de piliers, de manière que l’édifice intérieur tient à la fois de la cathédrale et de la basilique.