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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

blanche, appelé le Temps. Une voix moins austère enchaîne maintenant l’oreille captive du poète. Or, je suis persuadé que le talent de madame Sand a quelque racine dans la corruption ; elle deviendrait commune en devenant timorée. Autre chose fût arrivé si elle était toujours demeurée au sanctuaire infréquenté des hommes ; sa puissance d’amour, contenue et cachée sous le bandeau virginal, eût tiré de son sein ces décentes mélodies qui tiennent de la femme et de l’ange. Quoi qu’il en soit, l’audace des doctrines et la volupté des mœurs sont un terrain qui n’avait point encore été défriché par une fille d’Adam, et qui, livré à une culture féminine, a produit une moisson de fleurs inconnues. Laissons madame Sand enfanter de périlleuses merveilles jusqu’à l’approche de l’hiver ; elle ne chantera plus quand la bise sera venue ; en attendant, souffrons que, moins imprévoyante que la cigale, elle fasse provision de gloire pour le temps où il y aura disette de plaisir. La mère de Musarion lui répétait : « Tu n’auras pas toujours seize ans. Chæréas se souviendra-t-il toujours de ses serments, de ses larmes et de ses baisers[1] ? »

Au reste, maintes femmes ont été séduites et comme enlevées par leurs jeunes années ; vers les jours d’automne, ramenées au foyer maternel, elles ont ajouté à leur cithare la corde grave ou plaintive sur laquelle s’exprime la religion ou le malheur. La vieillesse est une voyageuse de nuit ; la terre lui est cachée, elle ne découvre plus que le ciel brillant au-dessus de sa tête.

Je n’ai point vu madame Sand habillée en homme

  1. Lucien, Dialogue des Courtisanes, VII. Ch.