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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

pour sa personne. Il ignorait cette ampleur d’ambition, laquelle enveloppe les intérêts de la gloire publique comme le trésor le plus profitable aux intérêts privés. M. de Talleyrand n’appartient donc pas à la classe des êtres propres à devenir une de ces créatures fantastiques auxquelles les opinions ou faussées ou déçues ajoutent incessamment des fantaisies. Néanmoins il est certain que plusieurs sentiments, d’accord par diverses raisons, concourent à former un Talleyrand imaginaire.

D’abord, les rois, les cabinets, les anciens ministres étrangers, les ambassadeurs, dupes autrefois de cet homme, et incapables de l’avoir pénétré, tiennent à prouver qu’ils n’ont obéi qu’à une supériorité réelle : ils auraient ôté leur chapeau au marmiton de Bonaparte.

Ensuite, les membres de l’ancienne aristocratie française liés à M. de Talleyrand sont fiers de compter dans leurs rangs un homme qui avait la bonté de les assurer de sa grandeur.

Enfin, les révolutionnaires et les générations immorales, tout en déblatérant contre les noms, ont un penchant secret vers l’aristocratie : ces singuliers néophytes en recherchent volontiers le baptême, et ils pensent apprendre avec elle les belles manières. La double apostasie du prince charme en même temps un autre côté de l’amour-propre des jeunes démocrates : car ils concluent de là que leur cause est la bonne, et qu’un noble et un prêtre sont bien méprisables.

Quoi qu’il en soit de ces empêchements à la lumière, M. de Talleyrand n’est pas de taille à créer une