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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

le malheur de lui déplaire en lui dévoilant l’avenir, en lui révélant tous les dangers qui allaient naître en foule d’une agression non moins injuste que téméraire. La disgrâce fut le fruit de ma sincérité. Étrange destinée que celle qui me ramène, après ce long espace de temps, à renouveler auprès du souverain légitime les mêmes efforts, les mêmes conseils[1] ! »

Il y a des absences de mémoire ou des mensonges qui font peur : vous ouvrez les oreilles, vous vous frottez les yeux, ne sachant qui vous trompe ou de la veille ou du sommeil. Lorsque le débitant de ces imperturbables assertions descend de la tribune et va s’asseoir impassible à sa place, vous le suivez du regard, suspendu que vous êtes entre une espèce d’épouvante et une sorte d’admiration ; vous ne savez si cet homme n’a point reçu de la nature une autorité telle qu’il a le pouvoir de refaire ou d’anéantir la vérité.

Je ne répondis point ; il me semblait que l’ombre de Bonaparte allait demander la parole et renouveler le démenti terrible qu’il avait jadis donné à M. de Talleyrand. Des témoins de la scène étaient assis parmi les pairs, entre autres M. le comte de Montesquiou[2] ;

  1. Discours du prince de Talleyrand contre le crédit de 100 millions demandé pour la guerre d’Espagne (mars 1823).
  2. Montesquiou-Fezensac (Élisabeth-Pierre, comte de), pair de France, né à Paris le 30 septembre 1764, mort à Bessé-sur-Braye (Sarthe) le 4 août 1834. Il avait été président du Corps législatif en 1810, 1811 et 1813. Créé comte de l’Empire en 1809, il avait été, l’année suivante, nommé grand chambellan de France à la place de Talleyrand.