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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

prême[1] de ce prince aux trois quarts pourri, une ouverture gangréneuse au côté, la tête retombant sur

    en tout), l’enthousiasme n’eut pas de bornes. « Le prince, dit Sainte-Beuve (Nouveaux Lundis, t. VI, p. 110), eut à passer, au retour, entre une double haie de fronts qui s’inclinaient avec un redoublement de révérence ».

  1. Le prince de Talleyrand ainsi qu’il est dit plus haut, mourut le 17 mai 1838, à trois heures trente-cinq minutes après midi ; il était né le 2 février 1754 et avait par conséquent 84 ans, 3 mois et 15 jours. Il fut assisté dans sa dernière maladie par l’abbé Dupanloup, le futur évêque d’Orléans, qui a écrit lui-même le récit des derniers moments du prince. Le matin du 17 mai, M. de Talleyrand avait signé sa rétractation et une lettre au pape ; quelques heures après, arriva l’abbé Dupanloup. À une parole de l’abbé, lui disant que Monseigneur de Quélen serait heureux de donner sa vie pour lui, il se souleva un peu, et d’une voix très distincte : « Dites-lui qu’il a un bien meilleur usage à en faire. — Prince, continua l’abbé, vous avez donné ce matin à l’Église une grande consolation ; maintenant, je viens au nom de l’Église vous offrir les dernières consolations de la foi, les derniers secours de la religion. Vous vous êtes réconcilié avec l’Église catholique que vous aviez offensée ; le moment est venu de vous réconcilier avec Dieu par un nouvel aveu et par un repentir sincère de toutes les fautes de votre vie. » — « Alors, nous laissons ici parler l’abbé Dupanloup, — il fit un mouvement pour s’avancer vers moi ; je m’approchai, et aussitôt ses deux mains saisissant les miennes, et les pressant avec une force et une émotion extraordinaires, il ne les quitta plus pendant tout le temps que dura sa confession ; j’eus même besoin d’un grand effort pour dégager ma main des siennes, quand le moment de lui donner l’absolution fut venu. Il la reçut avec une humilité, un attendrissement, une foi, qui me firent verser des larmes. »

    Il reçut de même l’extrême-onction en pleine connaissance. Puis, l’abbé Dupanloup, agenouillé près de lui, récita les litanies des saints. Quand il fut arrivé aux invocations des martyrs, et qu’il prononça le nom de saint Maurice, patron de M. de Talleyrand, on vit le prince s’incliner, et son regard chercher celui de l’abbé Dupanloup, pour témoigner qu’il s’unissait à ces prières. Vers trois heures, voyant l’heure suprême venir, l’abbé Dupanloup commença les prières des agonisants. Le malade paraissait s’y unir encore si visiblement, qu’un des assistants en fit la