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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

broderies d’ombre nous choquent. Inconnus ce matin, plus inconnus ce soir, nous ne nous en persuadons pas moins que nous effaçons ce qui nous précéda. Et toutefois, chaque minute, en fuyant, nous demande : Qui es-tu ? et nous ne savons que répondre. Charles X, lui, a répondu ; il s’en est allé avec une ère entière du monde ; la poussière de mille générations est mêlée à la sienne ; l’histoire le salue, les siècles s’agenouillent à sa tombe ; tous ont connu sa race ; elle ne leur a point failli, ce sont eux qui y ont manqué.

Roi banni, les hommes ont pu vous proscrire, mais vous ne serez pas chassé du temps, vous dormez votre dur somme dans un monastère, sur la dernière planche jadis destinée à quelque franciscain. Point de hérauts d’armes à vos obsèques, rien qu’une troupe de vieux temps blanchis et chenus ; point de grands pour jeter dans le caveau les marques de leur dignité, ils en ont fait hommage ailleurs. Des âges muets sont assis au coin de votre bière ; une longue procession de jours passés, les yeux fermés, mène en silence le deuil autour de votre cercueil.

À votre côté reposent votre cœur et vos entrailles arrachés de votre sein et de vos flancs, comme on place auprès d’une mère expirée le fruit abortif qui lui coûta la vie. À chaque anniversaire, monarque très chrétien, cénobite après trépas, quelque frère vous récitera les prières du bout de l’an ; vous n’attirerez à votre ci-gît éternel que vos fils bannis avec vous : car même à Trieste le monument de Mesdames est vide ; leurs reliques sacrées ont revu leur patrie et vous avez payé à l’exil, par votre exil, la dette de ces nobles dames.