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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Après Donawert, on trouve Burkheim et Neubourg. Au déjeuner, à Ingolstadt, on m’a servi du chevreuil : c’est grand’pitié de manger cette charmante bête[1]. J’ai toujours lu avec horreur le récit de la fête d’installation de George Neville, archevêque d’York, en 1466 : on y rôtit quatre cents cygnes chantant en chœur leur hymne funèbre ! Il est aussi question dans ce repas de deux cent quatre butors : je le crois bien !

Regensburg, que nous appelons Ratisbonne, offre, en arrivant par Donawert, un aspect agréable. Deux heures sonnaient, le 21, lorsque je m’arrêtai devant l’hôtel de la poste. Tandis que l’on attelait, ce qui est toujours long en Allemagne, j’entrai dans une église voisine appelée la Vieille chapelle, blanchie et dorée tout à neuf. Huit vieux prêtres noirs, à cheveux blancs, chantaient les vêpres ; j’avais prié autrefois dans une chapelle de Tivoli pour un homme qui priait lui-même à mes côtés[2] ; dans une des citernes de Car-

    (Poésies françoises, nouvelle édition, 1716, tome I, p. 216-217). Dans le poème de Régnier-Desmarais, qui a pour titre : Voyage de Munik, la tirade citée par Chateaubriand s’achève par ces deux vers, qui sont devenus proverbe :

    Rarement à courir le monde
    On devient plus homme de bien.

  1. Lamartine a fait écho à ces lignes des Mémoires dans cette page des Entretiens, où il nous peint le chevreuil innocent qu’il vient de blesser d’une balle : « Le pauvre et charmant animal n’était pas mort, il me regardait, la tête couchée sur l’herbe, avec des yeux où nageaient des larmes. Je n’oublierai jamais ce regard, auquel l’étonnement, la douleur, la mort inattendue, semblaient donner des profondeurs humaines de sentiment, aussi intelligibles que des paroles. Car l’œil a son langage, surtout quand il s’éteint. » (IIIe Entretien, p. 214.)
  2. Chateaubriand fait ici allusion à un passage de sa lettre à