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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

veaux du clergé (et les plus distingués d’entre ces lévites) allaient à lui ; les évêques se seraient trouvés engagés dans sa cause s’il eût adhéré aux libertés gallicanes, tout en vénérant le successeur de saint Pierre et en défendant l’unité.

En France, la jeunesse eût entouré le missionnaire en qui elle trouvait les idées qu’elle aime et les progrès auxquels elle aspire ; en Europe, les dissidents attentifs n’auraient point fait obstacle ; de grands peuples catholiques, les Polonais, les Irlandais, les Espagnols, auraient béni le prédicateur suscité. Rome même eût fini par s’apercevoir que le nouvel évangéliste faisait renaître la domination de l’Église et fournissait au pontife opprimé le moyen de résister à l’influence des rois absolus. Quelle puissance de vie ! L’intelligence, la religion, la liberté représentées dans un prêtre !

Dieu ne l’a pas voulu ; la lumière a tout à coup manqué à celui qui était la lumière ; le guide en se dérobant a laissé le troupeau dans la nuit. À mon compatriote, dont la carrière publique est interrompue, restera toujours la supériorité privée et la prééminence des dons naturels. Dans l’ordre des temps il doit me survivre ; je l’ajourne à mon lit de mort pour agiter nos grands contestes à ces portes que l’on ne repasse plus. J’aimerais à voir son génie répandre sur moi l’absolution que sa main avait autrefois le droit de faire descendre sur ma tête. Nous avons été bercés en naissant par les mêmes flots ; qu’il soit permis à mon ardente foi et à mon admiration sincère d’espérer que je rencontrerai encore mon ami réconcilié sur le même rivage des choses éternelles[1].

  1. Lamennais est mort, six ans après Chateaubriand, le 27 fé-