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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Les nations ne croissent pas aussi rapidement que les individus dont elles sont composées et ne disparaissent pas aussi vite. Que de temps ne faut-il point pour arriver à une seule chose cherchée ! L’agonie du Bas-Empire pensa ne pas finir ; l’ère chrétienne, déjà si étendue, n’a pas suffi à l’abolition de la servitude. Ces calculs, je le sais, ne vont pas au tempérament français ; dans nos révolutions nous n’avons jamais admis l’élément du temps : c’est pourquoi nous sommes toujours ébahis des résultats contraires à nos impatiences. Pleins d’un généreux courage, des jeunes gens se précipitent ; ils s’avancent tête baissée vers une haute région qu’ils entrevoient et qu’ils s’efforcent d’atteindre : rien de plus digne d’admiration ; mais ils useront leur vie dans ces efforts, et arrivés au terme, de mécompte en mécompte, ils consigneront le poids des années déçues à d’autres générations abusées qui le porteront jusqu’aux tombeaux voisins ; ainsi de suite. Le temps du désert est revenu ; le christianisme recommence dans la stérilité de la Thébaïde, au milieu d’une idolâtrie redoutable, l’idolâtrie de l’homme envers soi.

Il y a deux conséquences dans l’histoire, l’une immédiate et qui est à l’instant connue, l’autre éloignée et qu’on n’aperçoit pas d’abord. Ces conséquences souvent se contredisent ; les unes viennent de notre courte sagesse, les autres de la sagesse perdurable. L’événement providentiel apparaît après l’événement humain. Dieu se lève derrière les hommes. Niez tant qu’il vous plaira le suprême conseil, ne consentez pas à son action, disputez sur les mots, appelez force des choses ou raison ce que le vulgaire appelle Provi-