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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

thage, j’avais offert des vœux à Saint-Louis, mort non loin d’Utique, plus philosophe que Caton, plus sincère qu’Annibal, plus pieux qu’Énée : dans la chapelle de Ratisbonne, j’eus la pensée de recommander au ciel le jeune roi que je venais chercher ; mais je craignais trop la colère de Dieu pour solliciter une couronne ; je suppliai le dispensateur de toutes grâces d’accorder à l’orphelin le bonheur, et de lui donner le dédain de la puissance.

    M. de Fontanes. C’est une des plus belles pages qu’il ait écrites : — « En traversant le bois des vieux oliviers dont je viens de vous parler, j’aperçus une petite chapelle blanche dédiée à la Madone Quintilanea, et bâtie sur les ruines de la villa de Varus. C’était un dimanche ; la porte de cette chapelle était ouverte, j’y entrai. Je vis trois petits autels disposés en forme de croix ; sur celui du milieu s’élevait un grand crucifix d’argent devant lequel brûlait une lampe suspendue à la voûte. Un seul homme, qui avait l’air très malheureux, était prosterné au pied d’un banc ; il priait avec tant de ferveur, qu’il ne leva pas même les yeux sur moi au bruit de mes pas. Je sentis ce que j’ai mille fois éprouvé en entrant dans une église, c’est-à-dire un certain apaisement des troubles du cœur (pour parler comme nos vieilles bibles), et je ne sais quel dégoût de la terre. Je me mis à genoux à quelque distance de cet homme, et, inspiré par le lieu, je prononçai cette prière : « Dieu du voyageur, qui avez voulu que le pèlerin vous adorât dans cet humble asile bâti sur les ruines du palais d’un grand de la terre ! Mère de douleur, qui avez établi votre culte de miséricorde dans l’héritage de ce Romain infortuné, mort loin de son pays dans les forêts de la Germanie ! nous ne sommes ici que deux fidèles prosternés au pied de votre autel solitaire. Accordez à cet inconnu, si profondément humilié devant vos grandeurs, tout ce qu’il vous demande ; faites que les prières de cet homme servent à leur tour à guérir mes infirmités, afin que ces deux chrétiens qui sont étrangers l’un à l’autre, qui ne se sont rencontrés qu’un instant dans la vie, et qui vont se quitter pour ne plus se revoir ici-bas, soient tout étonnés, en se retrouvant au pied de votre trône, de se devoir mutuellement une partie de leur bonheur, par les miracles de la charité ! »