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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

nisme, j’en ai cependant méconnu plusieurs rapports. Frappé des abus des institutions et des vices de quelques hommes, je suis tombé jadis dans les déclamations et les sophismes. Je pourrais en rejeter la faute sur ma jeunesse, sur le délire des temps, sur les sociétés que je fréquentais ; mais j’aime mieux me condamner ; je ne sais point excuser ce qui n’est point excusable. Je dirai seulement les moyens dont la Providence s’est servie pour me rappeler à mes devoirs. Ma mère, après avoir été à soixante-douze ans dans les cachots où elle vit périr une partie de ses enfants, expira enfin sur un grabat, où ses malheurs l’avaient reléguée. Le souvenir de mes égarements répandit sur ses derniers jours une grande amertume ; elle chargea en mourant une de mes sœurs de me rappeler à cette religion dans laquelle j’avais été élevé. Ma sœur me manda le dernier vœu de ma mère. Quand sa lettre me parvint au delà des mers, ma sœur elle-même n’existait plus ; elle était morte aussi des suites de son emprisonnement. Ces deux voix sorties du tombeau, cette mort qui servait d’interprète à la mort, m’ont frappé : je suis devenu chrétien. Je n’ai point cédé, j’en conviens, à de grandes lumières surnaturelles ; ma conviction est sortie du cœur ; j’ai pleuré et j’ai cru. »

Ô chrétiens de tous les âges et de tous les rangs, que n’avez-vous point à admirer, que n’avez-vous point à imiter dans la vie de Julie de Chateaubriand !