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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

gnés d’abord de l’abandon dans lequel les a laissés une cour qui, depuis Catherine II, ne cesse de les porter à la révolte, ont ensuite étudié et recherché les causes de cet abandon ; ils ont vu ou cru voir que la crainte de laisser encore s’accroître la puissance et l’influence déjà si incommode de la Russie, armait contre leur cause l’Europe entière ; qu’ils étaient sacrifiés à l’intérêt général. Ils ont reconnu et bien jugé que l’empereur était incapable de concevoir et d’exécuter les projets de son aïeule ; dès-lors, ils ont compris que, loin de compter sur l’assistance de la Russie, ils devaient éviter de la rechercher, puisqu’au lieu de leur être utile, elle leur créait des ennemis. Ils ont alors, en désespoir de cause, tourné leurs regards vers l’Angleterre, qui déjà, quoique d’une manière non avouée, semble les prendre sous sa protection. Elle ne leur accordera point l’indépendance, parce qu’il ne lui convient pas de laisser se fonder dans la Méditerranée une marine marchande qui ferait tort à la sienne ; mais elle les protégera et les gouvernera à la façon des îles Ioniennes : triste perspective qui ne peut être acceptée que par les déplorables victimes de l’absurde despotisme des musulmans.

« Ce n’est pas la première fois, monsieur le vicomte, que nous devons regretter le fatal article du traité du 31 mars, qui nous a enlevé les îles Ioniennes[1] ; nous y étions aimés et considérés autant que les Anglais y sont détestés, et aujourd’hui nous ne serions pas embarrassés du rôle que nous

  1. Traité du 31 mars 1815, signé à Vienne, pendant le Congrès, entre l’Angleterre, l’Autriche, la Prusse et la Russie.