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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE
était le conseil le plus autorisé de la princesse. L’accueil fut parfait, mais enveloppé cependant de toutes les réserves imaginables. « Au fond, la question demeure la même, disait M. de Saint-Priest. Si affectueuse que soit la lettre du roi apportée par M. de Montbel, elle ne change rien aux exigences premières, ni aux raisons, par conséquent, qu’a la duchesse de les repousser. Le fait seul, concluait M. de Saint-Priest, de la délivrance de son acte de mariage que l’on demande à Madame, suffirait à la déposséder de ses droits de mère, de princesse du sang et de régente. Elle se refuse et se refusera toujours à le livrer. »
C’était aborder brusquement une question que M. de La Ferronnays n’entendait traiter qu’avec la duchesse elle-même. Il quitta donc M. de Saint-Priest, non cependant sans en avoir obtenu la promesse d’une neutralité complète.
À l’heure dite, continue-t-il dans son récit, je me présentai au Poggio Impériale qu’habitait Madame. Lorsqu’on m’annonça, elle se trouvait seule dans un petit salon avec le comte Lucchesi, qui se retira aussitôt.
La première phrase de Son Altesse Royale fut un remerciement. La seconde fut pour me demander la lettre de l’empereur. Elle la lut plusieurs fois avec une émotion toujours croissante :
« Je vois, dit-elle enfin avec colère, que la partie contre moi est fortement liée. Cette lettre de l’empereur est évidemment dictée par le roi. On veut me pousser à bout. On veut pouvoir dire à la France et à mes enfants qu’il n’y a plus de duchesse de Berry, qu’il n’y a plus qu’une étrangère à laquelle n’est dû ni protection ni pitié ! On dresse un pilori et l’on veut que je m’y attache moi-même…
« On me connaît bien mal si l’on me croit capable d’une pareille lâcheté. Ceux qui me tiennent un si haut langage apprécient faussement leur position et la mienne. Ils ignorent tout ce que l’opinion publique peut me donner de force contre eux. Ils l’apprendront, car, puisqu’on veut la guerre, je l’accepte. Je ferai tout imprimer, tout publier. Je prouverai que c’est à moi à imposer des conditions et non pas à moi à en accepter. Je forcerai le roi à respecter mes droits et à me rendre enfin mes enfants. »
La parole de Madame la duchesse de Berry était haute et brève, son geste saccadé ; et sans son extrême agitation, j’aurais pu croire qu’elle répétait un rôle étudié. Je m’attendais à cette vivacité ; j’étais aussi préparé au langage que j’allais avoir à tenir, mais je ne me hâtai pas de répondre.