Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/547

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
531
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE
son insu, il a pu s’en irriter même ; mais, aujourd’hui, il ne demande qu’à mettre sa conscience en repos et votre honneur à l’abri.
Votre Altesse Royale parle de la force que lui prête l’opinion. Elle semble menacer de sa colère le roi et les puissances. Hélas ! tous ces éclats ne seraient que de nouveaux et grands malheurs. Il est bien douloureux pour moi d’en être réduit à ne faire entendre qu’un langage cruel. Mais il faut que Madame sache enfin toute la vérité, pour se résoudre à un sacrifice nécessaire.
Non ; Madame n’est plus en mesure de dicter des lois ni d’imposer des conditions : elle juge toujours sa position du haut de ce piédestal où l’opinion l’avait placée pendant quelque temps. Sans doute, si Votre Altesse Royale y était demeurée ; si, après l’admiration qu’avaient inspirée son courage, sa constance, son dévouement sublimes, nous n’avions eu à gémir que sur ses revers et sa captivité, non seulement Madame n’aurait rien perdu de son prestige, mais elle serait sortie de Blaye encore grandie. Elle n’aurait pas à dicter de conditions, car elle ne trouverait devant elle que des volontés soumises. Mais, malheureusement pour Madame et pour la France, la déclaration du mois de février[1] a complètement et cruellement changé tout cela.
Croyez-en, Madame, la voix d’un ami qui ne pourra jamais vous donner une plus grande preuve de son dévouement qu’il ne le fait en ce moment, ou plutôt n’écoutez que votre raison. Elle vous fera comprendre pourquoi et combien votre position est changée. Vous reconnaîtrez combien est coupable l’irréflexion de ceux qui vous conseillent la résistance et même la menace. Tout le monde vous plaint, Madame, mais personne ne vous craint plus. La lutte qu’on vous engage à soutenir est désormais trop inégale. Sa prolongation ne peut désormais n’être funeste qu’à vous seule. »
Je voyais, pendant que je parlais, la malheureuse princesse rougir, pâlir ; des larmes coulaient le long de ses joues, mais elle n’essayait pas de m’interrompre. Je pus remplir mon triste devoir jusqu’au bout. Elle me regarda alors avec une indéfinissable expression.
  1. « Pressée par les circonstances et les mesures ordonnées par le gouvernement, quoique j’eusse les motifs les plus graves pour tenir mon mariage secret, je crois me devoir à moi-même, ainsi qu’à mes enfants, de déclarer m’être mariée secrètement pendant mon séjour en Italie.
    « Marie-Caroline.
    « Blaye, 22 février 1833. »