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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

— Si tout ce que vous venez de me dire est vrai, on me trompe et je suis bien malheureuse. Que voulez vous que je fasse ? Puis-je envoyer ce titre original qui, devant les tribunaux, serait ma condamnation ?
— Non, Madame, je suis le premier à dire à Votre Altesse que, dans aucun cas, elle ne doit s’en dessaisir. Seule, la conscience du roi veut être rassurée ; il n’y a, à sa demande, aucun autre mobile. Si le roi pouvait acquérir la certitude du mariage de Votre Altesse, sans qu’elle se dessaisît de l’acte original, sans même qu’elle en donnât une copie, verrait-elle quelque danger, pour elle ou pour ses intérêts, à satisfaire Charles X ?
La princesse cherchait à deviner ma pensée.
— Quel moyen pouvez-vous donc imaginer qui satisfasse le roi, puisqu’il refuse de croire à ma parole ?
— Le roi n’y croit pas, parce que vous ne la lui avez pas donnée.
— Mais je vous répète que je suis mariée. L’acte est à Rome, déposé entre les mains du Pape.
— Eh bien, Madame, si un homme, honoré de votre confiance et de celle du roi, si M. de Montbel se rendait à Rome, vous refuseriez-vous à ce que le dépositaire de votre acte de mariage lui en donnât communication, ou, du moins, lui en certifiât l’existence ?
J’ai la certitude que la déclaration de M. de Montbel serait immédiatement suivie de l’envoi de passeports que Votre Altesse désire si impatiemment.
Madame la duchesse de Berry, enfin vaincue, s’approcha de moi et me dit avec un triste sourire :
— Je ne vois aucun inconvénient à essayer le moyen que vous me proposez, mais vous comprenez que je ne puis décider seule. Le consentement du comte Lucchesi est aussi nécessaire que le mien.
M. le comte Lucchesi était dans un salon voisin avec MM. de Montbel et de Saint-Priest ; je l’appelai. Madame lui répéta elle-même la proposition que je venais de lui faire. Il n’hésita pas à l’accepter.
Je demandai alors à faire entrer ces deux autres messieurs. Tout le monde s’assit autour d’une petite table devant laquelle Madame la duchesse de Berry était elle-même assise, et, par son ordre, je rendis compte de l’explication que je venais d’avoir avec elle. En achevant, je m’adressai au comte de Montbel :
— Et maintenant, monsieur, c’est à vous seul, qui connaissez la pensée du roi et qui, pour ainsi dire, le représentez ici, qu’il appartient de juger et de déclarer si le moyen que je propose