Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/580

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
564
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Et, de même, le chrétien resta fidèle. On a écrit récemment tout un volume sur la Sincérité religieuse de Chateaubriand[1]. C’était peut-être un beau sujet de thèse ; il me semble bien pourtant que la démonstration n’avait pas besoin d’être faite ; on ne démontre pas l’évidence. Je n’ai du reste à parler ici que des dernières années de l’auteur du Génie du Christianisme, de celles qui vont de 1841 à 1848.

Dans une lettre à son ami Hyde de Neuville, du 14 juin 1841, Chateaubriand écrit :

« Je vous admire du fond du cœur ; vous prenez à tout, moi, je ne prends plus à rien ; mon courage n’est pas usé ; mais il est surmonté par le dégoût. Je ne songe plus qu’à mourir en chrétien, et j’espère que le bon Père Seguin, tout vieux qu’il est, aura la force de lever la main pour me blanchir et m’envoyer à Dieu[2]. »

Au mois de mars 1842, parlant de la mort récente de Théodore Jouffroy[3], un des professeurs du collège royal de Marseille, M. Lafaye, dit à ses élèves : « Jouffroy, le sceptique, a appelé un confesseur, et personne ne peut nommer celui de l’auteur du Génie du Christianisme. » Ces paroles firent quelque bruit, et M. Lafaye, craignant d’être destitué, supplia le baron de Flotte, ami et coreligionnaire de Chateaubriand, d’écrire à ce dernier, pour qu’il intercédât en sa faveur auprès du ministre de l’Instruction publique, M. Villemain. Chateaubriand répondit :

« Grâce à Dieu, Monsieur, je n’ai ni ne peux avoir aucun crédit auprès du Gouvernement actuel. Lorsque j’ai possédé quelque pouvoir politique, je ne me souviens pas de l’avoir jamais employé qu’au profit des personnes qui pouvaient être opprimées. M. Lafaye ne m’a point du tout offensé ; mais, s’il était inquiété à cause de moi, je prierais qu’on le laissât tranquille. Je ne m’occupe plus de ce qui se passe dans la société. Mon rôle est
  1. Un volume in-8o ; par l’abbé Georges Bertrin, docteur-ès-lettres, professeur à l’Institut catholique de Paris, 1899.
  2. Mémoires et Souvenirs du baron Hyde de Neuville, t. III, p. 579.
  3. Théodore Jouffroy est mort le 1er mars 1842.