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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

lings. » Nous avons aujourd’hui beaucoup de petits hommes, mais ils coûtent plus de 20 schellings.

À trois heures, heure à laquelle l’estafette aurait pu être de retour, j’allai avec Hyacinthe sur la route d’Haselbach. Il faisait du vent, le ciel était semé de nuages qui passaient sur le soleil en jetant leur ombre aux champs et aux sapinières. Nous étions précédés d’un troupeau du village, qui élevait dans sa marche la noble poussière de l’armée du grand-duc de Quirocie, combattue si vaillamment par le chevalier de la Manche. Un calvaire pointait au haut d’une des montées du chemin ; de là on découvrait un long ruban de la chaussée. Assis dans une ravine, j’interrogeais Hyacinthe : « Sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? » Quelques carrioles de village aperçues de loin nous faisaient battre le cœur ; en approchant, elles se montraient vides, comme tout ce qui porte des songes. Il me fallut retourner au logis et dîner bien triste. Une planche s’offrait après le naufrage : la diligence devait passer à six heures ; ne pouvait-elle pas apporter la réponse du gouverneur ? Six heures sonnent : point de diligence. À six heures un quart, Baptiste entre dans une chambre : « Le courrier ordinaire de Prague vient d’arriver ; il n’y a rien pour Monsieur. » Le dernier rayon d’espoir s’éteignit.

À peine Baptiste était-il sorti de ma chambre, que Schwartz paraît, agitant en l’air une grande lettre, à grand cachet, et criant : « Foilà le bermis. » Je saute sur la dépêche ; je déchire l’enveloppe ; elle contenait, avec une lettre du gouverneur, le permis et un billet