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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

ses derniers jours dans un dernier exil, avec le petit-fils dont le père avait été assassiné et de qui la mère était captive. Charles X, pour rompre ce silence, m’adressa quelques questions. Alors j’expliquai brièvement l’objet de mon voyage : je me dis porteur d’une lettre de madame la duchesse de Berry, adressée à madame la dauphine, dans laquelle la prisonnière de Blaye confiait le soin de ses enfants à la prisonnière du Temple, comme ayant la pratique du malheur. J’ajoutai que j’avais aussi une lettre pour les enfants. Le roi me répondit : « Ne la leur remettez pas ; ils ignorent en partie ce qui est arrivé à leur mère ; vous me donnerez cette lettre. Au surplus, nous parlerons de tout cela demain à deux heures : allez vous coucher. Vous verrez mon fils et les enfants à onze heures et vous dînerez avec nous. » Le roi se leva, me souhaita une bonne nuit et se retira.

Je sortis ; je rejoignis M. de Blacas dans le salon d’entrée ; le guide m’attendait sur l’escalier. Je retournai à mon auberge, descendant les rues sur les pavés glissants, avec autant de rapidité que j’avais mis de lenteur à les monter.

Prague, 25 mai 1833.

Le lendemain, 25 mai, je reçus la visite de M. le comte de Cossé, logé dans mon auberge. Il me raconta les brouilleries du château relatives à l’éducation du duc de Bordeaux. À dix heures et demie je montai à Hradschin ; le duc de Guiche[1] m’introduisit chez M. le

  1. Né au château de Versailles, le duc de Guiche, fils du duc de Gramont, capitaine des gardes-du-corps du Roi, était à peine âgé de trois semaines, lorsqu’il suivit sa famille en émigration, parcourant successivement avec elle toutes les contrées de l’Eu-